Interview Créa #2 – Alice Des, illustratrice et agent d’illustrateur

Aujourd’hui, j’ai la joie de partager avec vous une nouvelle Interview Créa avec Alice Des, illustratrice !

A chaque fois, j’ai envie de sautiller dans tous les sens tellement discuter à propos de la créativité ou du process créatif en général me fascine. Chaque personne a sa manière d’être, de penser et de créer. Ne trouvez-vous pas cela enrichissant ? Pour ma part, j’ai les yeux en forme de coeur à l’heure où je vous parle.

Alice Des est… atypique. Oui, elle est illustratrice mais pas que: elle est aussi agent d’illustrateurs ! Alice est illustratrice, oui, mais elle a fait Sciences Po ! Elle dessine, oui, mais pas que: elle sculpte aussi. Elle s’essaye à tous les supports qui la titillent et à chaque fois trouve un moyen de s’exprimer par ce nouveau medium. Alice semble s’enrichir constamment du monde qui l’entoure et toujours être à la recherche de nouveaux savoirs.

Cette interview, pour moi, est une véritable ode à la curiosité et à la persévérance.

Bonne lecture !

Pour commencer, peux-tu te présenter ? Quel est ton travail ? Quelles sont tes passions ? Comment souhaites-tu te définir ?

Le jour, je suis agent d’illustrateurs dans la plus belle des agences, La Suite ! On y représente une vingtaine d’artistes du monde entier, avec des projets allant de la campagne de publicité aux vitrines de magasin. La nuit, je suis illustratrice. Je suis passionnée d’arts visuels multiples, l’illustration et les romans graphiques, mais aussi le modelage, la sculpture, la photographie…

T’es-tu toujours considérée comme une personne créative ? Si oui, comment savais-tu que tu l’étais ? Si non, comment en as-tu pris conscience ?

J’y appose rarement le terme de créativité, mais j’ai toujours été curieuse.
J’ai envie de tout apprendre. J’ai commencé avec le dessin, la peinture, la mosaïque, le modelage, le bricolage, l’archéologie, les reptiles, la littérature.

Après avoir fait un baccalauréat scientifique car j’adorais la biologie – je pensais devenir médecin à l’époque, j’ai suivi mes études à Sciences Po Paris, puis à McGill University à Montréal. J’y ai choisi des cours complètement divers : histoire de la musique, histoire de l’art, écriture créative, théologie…
J’ai eu de la chance de m’épanouir dans un milieu où cet éparpillement intellectuel était bien vu. Je m’en suis rendue compte en rentrant dans le milieu du travail. J’ai souvent eu droit à des regards dubitatifs sur mon parcours – pas que, heureusement !

Dans ma pratique artistique, c’est pareil, j’ai envie d’essayer tous les média. J’aime créer des choses nouvelles, que ce soient des petites animations, des gravures, des objets, des sculptures.
En ce moment j’ai très envie de peindre ou modeler en très grand format, mais mon espace de travail parisien me limite un peu.

As-tu eu du mal à dire que tu étais illustratrice professionnelle ? Avais-tu du mal à te sentir légitime ?

Honnêtement, non, j’ai lancé mon activité durant mes études, j’étais juste très contente en recevant les papiers. C’est plutôt mon style graphique qui a subi une grande remise en question, et a beaucoup changé. Il est d’ailleurs toujours en mouvement.

Est-ce que ton cursus en communication t’a aidé dans ton travail d’illustratrice ? Si oui, comment ?

Mon parcours a été assez peu linéaire, mais pas dénué de logique in fine.
Etudier la communication m’a permis de connaître l’envers du décor des métiers créatifs : quels sont les mécanismes en place dans la publicité et de la communication, comment s’y insérer pour vendre des illustrations.
Ce sont les expériences professionnelles que j’ai vécues qui ont été les plus formatrices. J’ai fait une année de césure durant mon master, pour travailler un an avant de terminer mes études. C’est là où j’ai vraiment découvert ce milieu, ce marché. Une riche idée, ça m’a très vite montré ce que j’aimais… Et ce que je ne me voyais pas faire du tout !

As-tu un processus de création défini ? Utilises-tu la même méthode si ton projet est personnel ou si c’est une commande par exemple ?

Qu’il soit personnel ou commandité, chaque projet commence toujours par une phase de recherches. C’est la partie fondamentale, celle qui prend le plus de temps. J’ai énormément de carnets que j’emmène partout avec moi, mais la majeure partie du temps les meilleures idées viennent juste avant de m’endormir…

Pour les commandes, je réalise la version finale plutôt en numérique, avec une tablette graphique et des logiciels d’édition. Cela me permet de réaliser des modifications si besoin, ou m’adapter aux contraintes d’impression (par exemple la sérigraphie/risographie nécessitent des calques séparés pour chaque couleur), ou d’animation en séparant le décor des personnages, etc.

Pour mes travaux personnels, j’aime bien travailler sur papier, aux crayons gras, encre, peinture. Ca donne une matière, une texture, que Photoshop ne peut pas copier.

J’ai eu de la chance de m’épanouir dans un milieu où cet éparpillement intellectuel était bien vu.

Si tu devais dégager 3 leçons de ton parcours professionnel, qu’elles seraient-elles ?

La première serait que la curiosité n’est pas un vilain défaut ! Au contraire, nous vivons dans un monde où toutes les connaissances sont accessibles en un clic, c’est merveilleux.

La deuxième serait une ode à la persévérance. Après la claque de l’arrivée à Sciences Po, j’ai compris les bienfaits de savoir s’accrocher quand c’est difficile, de recommencer après un échec. Il m’arrive parfois de refaire six fois le même dessin, le même modelage…

La dernière est de ne pas se poser trop de questions. La spontanéité a du bon. Je n’ai pas la pression de devoir vivre de mes travaux créatifs, alors je peux me lâcher ! Sur une feuille ou dans la vie, on ne peut pas tout contrôler de toute façon. Et, parfois, les choses qu’on n’anticipe pas sont les plus intéressantes.

Y-a-t-il eu une rencontre décisive dans ton parcours ? Un moment clef ?

Professionnellement, mon moment clef serait ma rencontre avec Morgane, la fondatrice de l’agence d’illustrateurs La Suite. Devenir agent a été un déclic pour comprendre ce que je voulais; j’aime l’humain, l’impression d’être utile, et pas uniquement de servir une marque. C’est aussi très inspirant car ma boîte e-mail est remplie de belles choses.
Artistiquement, je me souviens que Yohan, le directeur artistique de mon premier stage, me répétait de “trouver mon style”. J’avais du mal à comprendre, puis je suis arrivée à La Suite. En réalisant les portfolios des illustrateurs, mon cerveau a fait ’tilt’ – j’avais compris ce que je devais chercher.
De manière générale, j’ai rencontré beaucoup de profils passionnants, à Sciences Po et ailleurs. Même au lycée j’étais entourée d’amies créatives. Mon dernier projet en date est d’ailleurs une série limitée de Baigneuses en céramique pour le site Amavi. Je connais Marine Lazarus depuis quinze ans !

T’arrive-t-il de douter de tes capacités ? Est-ce dans une situation particulière ? Comment arrives-tu à surpasser ce doute ?

Je pars du principe que tout s’apprend. Quand j’ai une demande qui sort de ma zone de confort, en illustration comme dans la vie, c’est la phase de recherches qui m’est fondamentale. Je commence par regarder toutes les références, les vidéos explicatives sur le web, les tutoriels. Puis je mets les mains dans le cambouis, je teste, je rate, je recommence, et ne lâche que quand j’y arrive. Comme je le disais, je suis un peu têtue, il peut m’arriver de refaire six fois le même dessin… Le côté laborieux ne me fait pas peur. Ma seule denrée rare, c’est le temps.
Cela dit, je suis incapable de dessiner une assiette. La vaisselle est mon nemesis du dessin, je ne sais pas pourquoi.

T’arrive-t-il d’être en panne d’inspiration ? Si oui, comment arrives-tu à y remédier ?

C’est merveilleux pour les yeux d’être agent d’artistes, mais en étant créateur soi-même, cela demande une gymnastique mentale de prendre du recul. J’ai parfois des moments de page blanche. Je m’en sors en général en faisant un pas de côté, en sortant de ma routine. Ca peut prendre plusieurs formes, la première est de changer de medium. C’est comme ça que j’ai testé la linogravure, puis la céramique… Faire de la photo m’aide aussi beaucoup à voir l’Image autrement, à bousculer mes compositions. Mes autres astuces: lire un nouveau roman graphique, discuter avec des amis créatifs mais d’un autre milieu (vidéaste, photographe, écrivains), aller voir une exposition d’artiste moderne. Voyager, ou aller au Hellfest – pour sortir de sa zone de confort, c’est assez radical.

J’ai parfois des moments de page blanche. Je m’en sors en général en faisant un pas de côté, en sortant de ma routine.

Pour conclure, as-tu des ressources (livres, podcast, blog,…) qui t’ont aidé à être plus sereine dans ta vie professionnelle ou personnelle ? ou qui te motivent ?

Internet ! Si j’ai une connexion wifi, rien n’est impossible.
Plus sérieusement, je me pose peu de questions, mon tempérament est de foncer – ce qui fait hurler Hugo, mon copain. Apparemment le concept de “réfléchir après” ne s’applique pas au montage de meuble IKEA. Le dialogue est ma principale ressource quand j’ai un doute : je demande leur avis à des proches, des collègues, sur des groupes de discussion.

Pour la motivation, mes doigts frétillent dès que je lis les romans graphiques de Fred Bernard. Sa série “Une aventure de Jeanne Picquigny” est mon coup de coeur absolu, c’est magnifique et onirique.

Pour l’humour et l’écriture, je me plonge dans Anouk Ricard et Marion Montaigne, qui sont les deux personnes les plus drôles du monde avec Hugo – et oui, en plus de monter les étagères Billy correctement, cet homme cache de nombreux talents.

J’ai aussi besoin d’un autre stimuli : le son. La musique, surtout.
Pourtant je ne joue d’aucun instrument, je chante terriblement faux, et n’ai aucun sens du rythme. Mais j’adore le rock et les sonorités un peu jazzy du sud des Etats-Unis. La bonne chanson crée pour moi une ambiance propice au dessin. Je suis aussi une grande fan du podcast ‘Transfert‘ de Slate, produit par Louie Media – et pas seulement parce que c’est Mügluck, une de nos illustratrices, qui en fait les très belles illustrations.

J’espère que cette interview vous a plu autant qu’à moi, et que vous vous sentirez inspiré pour la journée. N’oublions pas de cultiver notre curiosité et notre soif d’apprendre !

 

Les bustes de femmes sur les photos vous ont fait de l’oeil ? Bonne nouvelle, Les Baigneuses sont disponibles sur Amavi !
C’est par ici >

 

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Ne pas avoir de collègues, un problème ?

Cela fait maintenant 5 mois que j’ai quitté mon dernier job en tant que salarié. Avant de partir, plusieurs personnes m’avaient prédit un grand désarroi: j’allais perdre le goût de vivre car la solitude allait vite me peser, sans parler de l’estime de soi qui allait chuter, chuter… Il me faudrait une grande force mentale pour ne pas me sentir sombrer. Je ne pense pas avoir une force mentale hors norme, mais ce qui est sûr c’est que j’ai un amour profond pour la solitude.

Au début, je cherchais un poste en tant que salarié. J’ai eu la chance d’avoir régulièrement des réponses, de passer des entretiens et de finir plusieurs fois finaliste. Même si je n’étais pas choisie, j’étais déçue bien sûr mais pas triste. Je ne remettais pas en question toute ma valeur à cause du refus. Ils avaient rencontré quelqu’un qui avait un profil qui correspondait plus à ce qu’ils cherchaient et tant mieux pour eux. Cela ne voulait pas dire qu’ils ne me rappelleraient pas un jour, et cela ne voulait pas dire non plus que j’étais nulle, simplement qu’à l’instant, je n’étais pas celle qu’ils cherchaient.

Le temps passant, ce qui m’a le plus étonné est surtout ma relation à l’isolement: j’adore être seule. 

Pourtant, je pensais vraiment que ce serait difficile. J’adore le travail d’équipe et dans mes anciens postes j’avais la chance de travailler main dans la main avec plusieurs personnes que je considère maintenant comme des amis. Je m’attendais à regretter les pauses cafés, à tourner en rond dans l’appartement tel un lion en cage, à envoyer des messages toute la journée à mes amis pour me sentir moins seule. J’aime me sentir entourée, savoir que je peux poser des questions à quelqu’un, avoir une personne avec qui partager mes déboires ou mes blagues. Cependant, rien de tout cela n’est arrivé. Je suis étonnée par la facilité que j’ai à passer du temps avec moi-même.

Jusqu’ici, je n’ai jamais ressenti le besoin ou même l’envie d’être dans un bureau rempli de collègues.

Les avantages éclipsent le besoin

Je savais d’expérience que je n’ai aucun soucis à avancer sur mes projets toute seule de mon côté mais je ne me rendais pas compte à quel point il est agréable de n’avoir personne autour. Si vous souhaitez travailler en silence: vous pouvez. Si vous voulez travailler avec un bruit de fond: vous pouvez. Personne n’est là pour juger si j’ai l’air professionnelle, personne n’est là pour jaser car j’ai décidé de faire mes courses au milieu de l’après-midi pour éviter la foule. Si j’ai besoin de prendre du recul, je vais me poser au parc près de chez moi et je reste le temps que je souhaite. Je sais que mon cerveau continue de travailler en arrière plan. Se soustraire du regard direct d’autrui est une chose vraiment agréable car au fond c’est une question de responsabilisation. Je sais que j’avance sur mes projets, je n’ai pas besoin d’avoir quelqu’un qui m’approuve parce que je reste longtemps à mon bureau sans prendre de pause.

Cette liberté est si grisante qu’elle me fait oublier le besoin de collègue.

Je reste une introvertie

Il faut savoir que je fais partie de ces gens pour qui être entourés de plusieurs personnes toute la journée épuise toutes les forces au fur et à mesure de la journée. Je finis la journée lessivée par le travail et par le stimuli social incessant. Cela explique pourquoi je n’allais que rarement prendre des pots après le travail. J’avais besoin d’être seule, dans le calme, loin du brouhaha ambiant.

Cela n’a rien à voir avec l’amour que je porte pour mes amis, c’est simplement un fonctionnement différent. Le fait de ne plus être entourée pendant la journée m’a permis de gérer entièrement ma vie sociale. C’est un luxe et cela m’a enlevé un énorme poids dont je n’avais pas conscience.

Pour conclure, même si je savais que me retrouver toute seule n’allait pas être un réel problème, je n’imaginais pas à quel point on peut se sentir bien tout seul. Je pense que c’est un état que beaucoup de personnes craignent mais qui, je pense, peut être très bénéfique. Vous découvrez que seul… vous ne manquez de rien. Il est beaucoup plus facile d’entendre sa voix intérieur/instinct lorsque nous n’avons plus de discussion parasite qui viennent par dessus. On retrouve sa boussole interne, qui pourtant était là depuis le début.

Et vous, vous êtes plutôt de quelle nature ?

À bientôt,

Sibylle